Avec Karim Idir, l’ancien membre et porteur du projet FAF Radar, structure de la Direction technique nationale (DTN) de la Fédération algérienne de football, Africa Foot United poursuit pour la dernière partie une interview très instructive sur cette expérience inédite.
- Tout compte fait, FAF Radar était plus qu’un outil au service du sport et du football en particulier, un instrument de diplomatie sportive ?
‘’ Tout à fait d’accord. Il est évident que plus tôt les joueurs issus de divers championnats se rencontrent et interagissent lors de regroupements en Algérie ou à l’étranger, plus les bénéfices mutuels sont importants. Cette interaction favorise non seulement le développement sportif, mais également les relations interpersonnelles, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance à la communauté nationale.
La méthode de repérage et de sélection des meilleurs joueurs en France aurait pu être adaptée et étendue en Algérie, permettant ainsi de capturer un éventail plus large de talents et de renforcer le vivier de jeunes joueurs prometteurs.
En plus des jeunes joueurs, le FAF Radar a également véhiculé un message fort : les techniciens algériens ont un rôle crucial à jouer dans le développement du football en Algérie : le football algérien mérite l’implication de tous ses enfants pour progresser.
Le maintien d’un tel dispositif sur le long terme aurait permis de reléguer aux oubliettes les débats dépassés sur l’utilité, voire la légitimité, voire pire encore, l’opposition entre les joueurs dits « locaux » et ceux venant de l’étranger.
Dans le football, tout comme dans n’importe quel autre domaine, les grandes nations exploitent toutes leurs ressources et leur potentiel, qu’ils proviennent du marché domestique ou de l’étranger. Le maintien du FAF Radar aurait encouragé de nombreux jeunes joueurs algériens, binationaux et même étrangers à envisager leur avenir dans le championnat algérien.
La présence de ces jeunes talents aurait renforcé l’image et la réputation du championnat, et aurait été renforcée par de meilleurs résultats des sélections jeunes dans les compétitions internationales.
En France, de plus en plus de jeunes joueurs choisissent de quitter leur centre de formation avant même d’avoir achevé leur formation pour poursuivre leur carrière à l’étranger, que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Moyen-Orient.
Avec un déploiement plus conséquent du FAF Radar, l’Algérie aurait pu devenir une destination de choix pour bon nombre d’entre eux. Il est inutile de souligner l’impact positif qu’une telle affluence de joueurs étrangers aurait eu sur le niveau du championnat et par conséquent sur le football algérien dans son ensemble.
De plus, de nombreux entraîneurs, dirigeants et techniciens du football auraient eu l’opportunité d’apporter leur expertise pour enrichir l’écosystème du football algérien, que ce soit au niveau local, régional ou national.’’
- Etes-vous toujours persuadé que c’est un outil indispensable pour capter, détecter, accompagner et intégrer les jeunes talents algériens de l’étranger au sein des différentes sélections nationales ?
‘’Le FAF Radar a été conçu pour être un élément durable, indépendamment de ses initiateurs et animateurs. Qu’il conserve sa forme originelle ou qu’il évolue vers un nouveau modèle, il demeure essentiel à toute politique de sélection des jeunes footballeurs algériens évoluant à l’étranger pour les équipes nationales.
La marque « FAF Radar » était désormais ancrée dans le langage du football, reconnue par tous les acteurs de ce milieu : joueurs, médias, clubs, etc.
J’espère que les dirigeants ne manqueront pas de l’exploiter et d’assurer son développement continu.
Sans une démarche structurée comme celle du FAF Radar, soutenue par une équipe dédiée en interaction permanente avec les différents secteurs sportifs, techniques, administratifs et de pilotage, nous risquons de favoriser des échanges partiels qui pourraient encourager les arrangements individuels, au détriment de l’intérêt collectif.
Il semble d’ailleurs qu’après notre départ (Lyes Brahimi, Malik Chekaoui et moi-même), le FAF Radar a été détourné de ses fondements en s’appuyant uniquement sur un entraîneur plutôt que sur une équipe de professionnels aux compétences complémentaires.
Respecter les fondamentaux du dispositif est indispensable pour garantir non seulement son efficacité, mais aussi la neutralité et le contrôle assurés par le collectif. Cela est nécessaire pour éviter son appropriation à des fins personnelles et, pire encore, son utilisation en contradiction avec les intérêts de la FAF.’’
- Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le football algérien et sur la fédération, et sur l’avenir ?
‘’Lorsque l’on examine le football algérien en tant qu’observateur externe, il est difficile de saisir toute sa complexité en raison de l’instabilité chronique qui règne au sein de sa gouvernance.
Cette instabilité empêche une lecture systémique pour en comprendre les enjeux sportifs ou en analyser le championnat, ou encore la politique fédérale.
Par ailleurs, le modèle économique particulier du championnat algérien est marqué par la prédominance de grandes entreprises publiques en tant que sponsors principaux de plusieurs clubs de l’élite, souvent les clubs historiques.
À long terme, il est légitime de se demander si cette configuration favorise réellement l’amélioration du niveau des clubs, qui devraient normalement être motivés par des impératifs de résultats, comme on l’observe dans le secteur privé.
En dépit de ces défis, quelques clubs parviennent à se distinguer à l’échelle continentale, démontrant ainsi le potentiel du football algérien.
Cependant, pour véritablement propulser le championnat national vers des sommets, il serait essentiel que les cinq ou six grands clubs de l’élite parviennent à instaurer une gouvernance stable et à adopter une vision à moyen et long terme.
Cette stabilité et cette vision stratégique pourraient servir de moteur pour dynamiser l’ensemble du championnat, le rendant ainsi plus compétitif et de meilleur niveau.
Par ailleurs, les autorités ont manifestement consenti d’importants investissements dans les infrastructures sportives, notamment à travers la construction de grands stades à travers le pays. Cette initiative est à saluer, et il est à espérer qu’elle soit accompagnée par le développement d’une politique publique sportive solide, mettant en place de nouveaux mécanismes d’échanges et de coopération avec la FAF pour renforcer sa délégation de mission de service public dans le domaine du football.
En réalité, je suis convaincu qu’il est essentiel de renforcer d’abord notre positionnement interne dans l’organisation du football à l’échelle nationale avant de viser une influence externe au sein des instances telles que la CAF ou la FIFA.
Pour ce faire, il est impératif de consolider nos fondations, en assurant une gouvernance stable, transparente et efficace au sein de nos clubs, ligues et fédérations. Par ailleurs, je suis fermement convaincu que l’intégration de compétences algériennes de l’étranger constitue une opportunité majeure pour renforcer notre expertise, notre savoir-faire et notre influence.
En favorisant l’apport de ces compétences, nous pourrions bénéficier d’un gain significatif en termes de technicité, de puissance et d’influence, répondant ainsi aux enjeux sportifs mais aussi géopolitiques du sport.
Cela nécessiterait une ouverture d’esprit et une volonté de collaboration, mais les bénéfices potentiels en vaudraient largement la peine.
Du côté nord de la Méditerranée, nous percevons avec fierté les encouragements émanant des autorités et des opérateurs algériens, incitant les Algériens de l’étranger à contribuer au développement du pays, dans divers secteurs d’activité.
Cette démarche est prometteuse, et je crois fermement que la filière sportive doit également être une priorité dans cette perspective. Alors que des joueurs d’exception tels que Benzema ou Mbappé font briller le nom de l’Algérie en Europe en renouant avec leurs origines, cela met en lumière l’importance de cette connexion entre la diaspora et le pays d’origine.
C’est une opportunité précieuse pour renforcer les liens entre les talents algériens à l’étranger et le développement du sport en Algérie.’’
(Fin de l’interview)