Loin de l’aura et de la popularité d’un certain Didier Drogba, Yeo Martial reste tout de même une légende vivante du football ivoirien. L’homme aujourd’hui âgé de 79 ans a su inscrire son nom en lettre d’or dans l’histoire de la sélection nationale de Côte d’Ivoire.
Il est en effet le premier sélectionneur de l’histoire à faire gagner une Coupe d’Afrique des Nations aux Éléphants. Voici l’histoire d’un homme qui est présenté comme l’avant-gardiste du football ivoirien.
L’histoire entre Yéo Martial et le football a débuté quand il était encore tout petit. Celui qui est né le 29 juin 1946, un samedi, à 7h, à Ferkessédougou. a surtout connu le football de rue. Ceci à l’instar de plusieurs jeunes footballeurs nés et ayant découvert le football en Afrique. « Je faisais partie des enfants qui attachaient des bouts de tissus pour en faire un ballon parce que nos parents n’avaient pas les moyens financiers pour nous en acheter », se souvient-il.
Yeo Martial, d’une vie de bourgeois au leader naturel
Fils d’un grand cuisinier, dans les hôtels de la RAN qu’on appelait « Les Buffets-Hôtels » en son temps, Yeo Martial avait même déjà commencé par taper dans le ballon avant de commencer par mettre les pieds à l’école. Aux yeux de ses amis du quartier, il était vu comme un enfant gâté, vivant dans de meilleures conditions. « Mon père nous avait acheté un petit ballon qui faisait notre bonheur depuis l’âge de 5 ans », confie celui qui a grandi chez le grand patron de son père, un Corse qui s’appelait Etienne Mathéi. De quoi faire de lui un jeune très écouté. « Comme je vivais chez un blanc, les jeunes de mon âge voyaient cela comme un avantage. Et faisaient de moi le leader de notre équipe. Et le sport collectif le plus facile, comme je le dis souvent, c’est le football », explique Yeo Martial.
Yeo Martial et le coaching, un amour naturel
Dans un environnement où il est vite devenu un leader parmi les jeunes, Yeo Martial a aussitôt aussi été façonné. Ce qui l’a naturellement mis sur la voie du coaching. « Il y a le fait de s’organiser en créant des équipes dans les quartiers et de disputer des tournois. Depuis mon jeune âge, j’avais les prédispositions pour être entraîneur plus tard. Quand on jouait nos compétitions de quartier, en effet, c’est moi qui organisais le classement, le jeu etc. De tout temps, depuis ma tendre jeunesse, j’ai toujours été un meneur de groupe très écouté », fait savoir celui qui est devenu plus tard, et sans surprise, un entraineur de football.
Il aurait pourtant bien pu être un joueur de champ
S’il avait eu le privilège d’être doté d’un ballon de football, Yeo Martial faisait aussi partie de cette génération d’enfants interdits de pratiquer le football. Pour les parents, priorités aux études. « C’est vrai ! Mais on se cachait pour jouer et en on tirait du plaisir puisqu’on déjouait la vigilance de nos parents qui tenaient vraiment qu’on aille à l’école, qu’on étudie nos leçons plutôt que d’aller jouer au ballon », raconte ce qui a connu une certaine mutation dans le football alors qu’il n’était encore qu’un gamin. « De mon bas âge jusqu’au CM2, j’étais avant-centre. C’est à partir du CM1 qu’on faisait les sélections pour les écoles primaires. », se rappelle Yeo Martial.
« Le jour de notre premier match, étant attaquant, j’ai marqué 2 buts en première mi-temps. Et quand j’ai marqué deux autres buts, j’ai dit à Théodore, notre gardien, qu’il me cède sa place. Et j’avais tellement bien joué en étant gardien qu’après, notre coach, qui était notre instituteur, a décidé que je joue désormais qu’au poste de gardien titulaire. Ainsi d’avant-centre, je suis devenu goalkeeper. Toujours est-il que ce changement de poste m’a été bénéfique. Il m’a permis de savoir quand un attaquant peut chercher à inscrire un but et comment guider une défense à faire obstacle à une attaque menaçante. J’étais tellement brillant en tant que gardien de but que déjà en classe de 5e, une équipe civile, l’As Fonctionnaires de Bobo-Dioulasso, a décidé de m’enrôler. J’avais 15 ans pratiquement.».
Yeo Martial des aires de jeu à l’INJS
Avec l’As Fonctionnaires de Bobo-Dioulasso, le jeune joueur polyvalent, en pleine mutation, va connaitre une première participation à un tournoi en 1963. Quatre ans plus tard, après avoir obtenu son BEPC, Yeo Martial passe le concours d’entrée à l’INJS (Institut national de la Jeunesse et du Sport) en 1967. Il achève sa formation en 1970 en étant même major de sa promotion et deviens Maître d’EPS, puis est affecté à Bondoukou. La suite de l’histoire l’emmènera sur les bancs de touche de plusieurs clubs dont Réveil Club de Daloa, l’USC Bassam et l’Africa Sports d’Abidjan.
Le conte de fée de Yeo Martial avec les Eléphants
C’était un pari osé mais qui s’est avéré payant. En 1988, Yeo Martial conduisait les Eléphants à la CAN au Maroc. Une première expérience douloureuse pour les Ivoiriens puisqu’ils sont éliminés dès le premier tour. Quatre ans plus tard, le technicien ivoirien revient à la charge avec l’équipe de Côte d’Ivoire. Sauf que pour cette CAN 1992 au Sénégal, la Fédération Ivoirienne de Football ne voulait pas le voir sur le banc de l’équipe. « Avant cette CAN, on voulait que ce soit Troussier (Phillipe) qui prenne ma place. Mais les joueurs ont fait un sit-in pour qu’on me maintienne », se souvient l’homme visiblement né sous une bonne étoile.
Au Sénégal, la Côte d’Ivoire déroule sans difficulté. D’abord un 3-0 infligé à l’Algérie pour commencer. Les Eléphants enchaînent ensuite avec un nul 0-0 insipide face au Togo puis une victoire 1-0 dans la douleur face à la Zambie. En demi-finales, ils battent le Cameroun (3-1) aux tirs au but pour se qualifier en finale pour la première fois de leur histoire. En finale, c’est aussi au bout du suspense que la Côte d’Ivoire arrive à battre le Ghana pour remporter la première CAN de son histoire. Ceci après une séance interminable de tirs au but avec 24 tirs au total. Yeo Martial entre ainsi dans l’histoire, devenant le premier entraineur, qui plus est un local, à faire gagner la CAN à sa Côte d’Ivoire.
Une décision osée mais assumée
Déjà sous les feux des critiques, le technicien ivoirien s’est attiré la foudre de la presse ivoirienne juste avant d’aller à l’assaut de la CAN 1992. Il a surtout pris la décision d’écarter Dali Benoit, meilleur joueur du championnat ivoirien à l’époque. « Quelques années plus tard, dans mes échanges avec Yeo Martial, je lui demande pourquoi il n’a pas sélectionné Dali Benoit. Il me dit ‘’Ricardo, il y a beaucoup de paramètres. Dali Benoit est le meilleur buteur du championnat, c’est vrai, mais face à quelles équipes ? Il ne marque ni contre l’Asec, ni contre le Stade, ni contre le Stella, qui sont les grosses pointures du championnat. Et ses buts, il les marque contre l’Asi, Oumé etc… Donc pour moi, il est meilleur buteur de circonstance’’ », a confié le journaliste ivoirien Ricardo Xama quelques années plus tard.
Même s’il a finalement été limogé et remplacé par Phillipe Troussier, Yeo Martial restera à jamais le premier dans l’histoire du football ivoirien. Le premier entraineur, et l’unique local à avoir diriger les Eléphants sur le toit de l’Afrique en 1992. Il aura fallu attendre 23 ans plus tard pour voir la Côte d’Ivoire remporter une nouvelle fois la CAN, c’était en 2015.