Malgré leur niveau d’endettement souvent très élevé, les pays africains ne reculent pas devant l’idée d’abriter la Coupe d’Afrique des Nations, une compétition réputée budgetivore et appauvrissante. D’où la question de l’intérêt réel pour ces nations d’être hôtes de cette compétition.
L’état des lieux !
Des armures de fer au dessus d’enceintes en béton, et au milieu des terrains vagues, voilà dressé le cliché des infrastructures sportives de certains pays africains quelques temps après avoir abrité la CAN. Pourtant marqués par un endettement parfois légendaire, les nations africaines ne reculent jamais devant le rêve d’abriter la CAN. Guinée Équatoriale, Gabon, Cameroun et le Maroc, aucun n’échappe cependant aux affres de cet endettement démesuré qui laisse généralement le pays en situation de crise sociale, marquée par la cherté de la vie, et parfois la baisse des salaires.
Pour être à la hauteur de la CAN 2021, l’État camerounais par exemple n’a pas lésiné sur les moyens. Officiellement, 520 milliards de francs CFA, soit près de 800 millions d’euros, ont été mis sur la table pour financer la construction et la rénovation des infrastructures nécessaires à l’organisation de la grande messe du Football africain. L’équivalent de 2 % du PIB national, dans un pays où près de 40 % de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté. Conséquence de ces investissements, l’hypertrophie de la dette publique. Elle s’est accrue sous le poids des lourds investissements consentis pour organiser la compétition et dépasse aujourd’hui les 40 % du PIB.
Au Gabon après la CAN 2017, la dette publique a atteint 50% du PIB, laissant le pays asphyxié et sans réelle lueur d’espoir. D’où la question : Comment comprendre cette obstination des pays déjà sous le poids de la dette à abriter des compétitions aussi bugetivores ?
Un mal nécessaire ?
Le football occupe une place de choix dans les États africains. Qu’il s’agisse des plans économique, social, ou encore politique, abriter une compétition de la taille de la CAN reste un moment unique dans la vie des États africains. Un grand moment de communion qui permet aux peuples du continent de se retrouver et se mettre ensemble autour de leur passion commune qui est le football. Cependant, les implications politiques semblent de plus en plus prendre le dessus sur les enjeux sportifs, contraignant les États à des décisions difficilement soutenables.
En effet, abriter une compétition est un moment de démonstration de puissance. L’implication du politique ici vise non seulement à vulgariser ce sport, mais au-delà, à présenter au monde une belle image du pays hôte. Durant un mois, tous les regards étaient par exemple tournés vers le Cameroun en 2022. Grace à cette compétition (CAN 2021), le pays de Samuel Eto’o est davantage entré dans les consciences, même de façon subliminale.
Les premières personnes à tirer profit de ces évènements grandeur nature sont les hommes politiques. La preuve, la CAN 2021 au Cameroun a plus profité à Paul Biya et à son gouvernement qu’aux acteurs eux-mêmes. Le gouvernement de Paul Biya se bombera toujours le torse d’avoir été le premier à organiser la toute première CAN à 24 nations. Un argument qui d’un point de vue géopolitique, place le Cameroun au centre du développement de cette compétition sur le continent, avec comme figure principale, le président de la République.
La CAN c’est aussi l’occasion pour les nations hôtes de voir florir de nombreuses activités liées à l’économie. En organisant la CAN 2021, le Cameroun a vu tous ses secteurs d’activités économiques bouger. Des plus petits commerçants de la rue aux vendeurs ambulants de gadgets, de maillots, tout le monde a tiré profit de cette CAN. Les hôtels affichaient déjà complets avant même le début des compétitions sportives, preuve de la rentabilité pour ce secteurs aussi.
À l’heure des comptes !
Dans un environnement africain pourtant marqué par des économies sans cesse décadentes, l’idée d’abriter la CAN, une compétition à la réputation bugetivore bien établie, continue d’enchanter les États africains. Déjà asphyxiés par une gestion calamiteuse de leurs ressources, les dirigeants africains nourrissent un appétit étonnant pour cette compétition, pour des raisons non pas sportives, mais géopolitiques. Les gains économiques sont certes non négligeables, mais ils sont très loin de rentabiliser les gros investissements souvent consentis pour notamment bâtir des infrastructures.
La forte implication du politique dans le football vise donc à présenter au monde une belle image du pays hôte, et surtout ses dirigeants, qui, parfois utilisent ces compétitions à des fins électoralistes. L’on se souvient encore que Paul Biya a utilisé la CAN comme argument lors de sa dernière campagne à l’élection présidentielle au Cameroun en 2018. Le sport se retrouve donc de plus en plus embrigardé par les politiques, car l’endettement auquel l’on recourt pour bâtir les infrastructures n’est aucunement profitable au peuple qui, comme pour le cas du Gabon, est aujourd’hui obligé de composer non seulement avec des stades abandonnés depuis la CAN 2017, mais aussi avec une inflation galopante, conjuguée à une cherté de la vie dans un contexte économique marqué par une dette extérieure difficile à amortir.
De véritables éléphants blancs, ainsi pourrait-on qualifier ces infrastructures qui en réalité, à l’issue des compétitions, deviennent de véritables problèmes pour l’économie nationale et des dangers pour leq populations environnantes lorsque les malfrats y élisent domicile. Difficultés d’entretien, inadéquation entre la taille de ces infrastructures et l’attractivité des compétitions nationales, ces stades ne deviennent que l’ombre d’eux-mêmes après les compétitions. Au Cameroun depuis la CAN, les stades Olembé, Japoma, Limbé et même Garoua n’ont pas cumulés 15 matchs de championnat. Les quelques matchs qu’ils abritent épisodiquement peinent à faire 1/4 de la capacité totale des gradins. Seuls les rares matchs des Lions indomptables, environ 6 par an à domicile, attirent du monde. Certains de ces stades sont d’ailleurs aujourd’hui sont d’ailleurs sujets à polémique, du fait de l’arrêt des travaux de finition depuis la CAN en février 2022. Toute chose qui interpelle les dirigeants sur la nécessité de redéfinir les priorités dans ces États encore en développement.